Ayant récemment fait l’objet d’un don, une table réalisée par de l’ébéniste néo-brunswickois Thomas Nisbet révèle de nouveaux champs de conception

Thomas Nisbet (Canadien né en Écosse, 1776-1850)
table de jeux, 1820-1830
en acajou et feuilles d’acajou avec pin et laiton
(fermée) : 74,3 × 91,5 × 45 cm
(ouverte) : 71,5 × 89 × 91 cm
Étiquette : sous la table, étiquette autocollante du fabricant : THOS. NISBET,/ CABINETMAKER & UPHOLSTERER,  / PRINCE WILLIAM STREET,/ Saint John, New Brunswick; / WHERE MAY BE HAD, / MATTRASSES various kinds ; Sophas & Sopha Beds ; / Chairs; Tables; Sideboards ; Portable Beds; and / Writing Desks ; Bed and Window Cornishes and Curtains ; / and every thing in the CABINET and UPHOLSTERER Line, / made on moderate terms.  / ù Old Furniture Repaired, or exchanged for New.
Don de Christopher Hawkins, 2020 (2020.10)
Collection du Musée du Nouveau-Brunswick

Grâce à la générosité de Christopher Hawkins (de Saint John), le Musée du Nouveau-Brunswick augmente sa capacité à préserver, étudier, interpréter et exposer une pièce importante du patrimoine provincial : une table de jeux du début du XIXe siècle, fabriquée par le célèbre ébéniste néo-brunswickois Thomas Nisbet (1776-1850).

Le nom de Thomas Nisbet est synonyme de mobilier d’excellence de la fin de l’époque géorgienne et du début de l’époque victorienne. Originaire de Dunse, en Écosse, Thomas Nisbet arrive au Nouveau-Brunswick en 1812 ou 1813, avant de devenir ébéniste indépendant de la ville de Saint John en 1814. Il exercera son métier pendant environ 35 ans jusqu’à sa retraite, en septembre 1848. De nombreux historiens et connaisseurs considèrent les meubles signés Nisbet comme étant parmi les plus importants de cette période (fin époque géorgienne, début époque victorienne) au Canada. Le mobilier de qualité fabriqué sur de la côte Est du Canada témoigne d’une société maritime prospère et cosmopolite. En effet, au début du XIXe siècle, au Nouveau-Brunswick, la fabrication mobilière artisanale de haute qualité connaît un immense essor, stimulée par le développement urbain, la présence d’une main-d’œuvre qualifiée, l’accès international aux matières premières et une forte demande.

Cette table de jeux (ou table à cartes) a été fabriquée vers 1820-1830 et témoigne des compétences exceptionnelles d’ébénisterie qui singularisent l’atelier de Thomas Nisbet. À partir de la fin du XVIIIe siècle, on s’intéresse de plus en plus aux jeux de société, de cartes et de plateau, un engouement qui se répercute sur le mobilier spécialisé pour ce type de loisirs. La table dont il est question ici est faite d’acajou, avec placage en acajou. Elle est également constituée de bois de pin et de bouleau et ornée de ferrures en laiton. Elle se compose d’un plateau pliant plaqué, doté d’un bord cannelé qui pivote au-dessus d’un compartiment à récipient, ou encrier, peu profond et encastré (qui était autrefois garni de feutrine). Le jupon est garni d’une plaque centrale appliquée, ornée de feuilles d’hymne (ou palmettes) sculptées, tandis que le bord inférieur est décoré d’une bande garnie d’une cordelette perlée plate. Le dessus de la table est surmonté d’un balustre à colonnes tournées et sculptées, ornementé d’anneaux concaves en bois noirci, de bandes de plumes et d’un bulbe à feuilles d’acanthe original et modifié. Le balustre repose sur trois pieds en roseau effilés dont la pièce coudée déploie des feuilles d’acanthe sculptées. Chose inhabituelle pour une pièce signée Nesbit, les pieds reposent sur des embouts en laiton ornés et munis de roulettes. Les interstices entre les pieds sont décorés d’une plaque de feuilles d’acanthe sculptée. Sur le plan des proportions et des détails, cette table de jeux est une réalisation magistrale et hors du commun. En effet, bon nombre des éléments conceptuels qui font son originalité n’ont jamais été recensés dans d’autres pièces issues de cet atelier. Cette œuvre reflète le goût raffiné des acheteurs ainsi que la qualité supérieure de l’artisanat qui s’est révélé dans cette société du Canada maritime antérieure à la Confédération.

Les collections du Musée du Nouveau-Brunswick, composées d’environ 500 pièces de mobilier provincial, comptent 30 pièces qui ont été fabriquées par Thomas Nisbet (1813-1834) ou son associé, Thomas Nisbet & Son (1834 à 1848), ou qui l’ont probablement été par eux ou qui leur sont attribuées. Il existe actuellement quatre pièces avec étiquette Thomas Nisbet : une table de travail (NBM1979.118.10), une table de jeux (NBM1962.75), un cabinet d’écriture (NBM1986.2) et une table de banquet (NBM2017.11). De plus, la collection comprend un bureau de marque Thomas Nisbet & Son (NBM2006.40). La diversité des formes de meubles et, notamment, les nouveaux indices de techniques et d’approches décoratives, sont essentiels pour toujours mieux évaluer et comprendre le travail de ce maître ébéniste qu’était Nisbet dans le Nouveau-Brunswick du début du XIXe siècle. Parmi les pièces attribuées à Nisbet que possède le MNB, mentionnons une table de jeux sur quatre pieds (NBM1972.75), une table de jeux sur pied (NBM1967.117.2), qui est assortie à un canapé orné de pieds à griffon finement sculptés, et une paire de tables de jeux sur pied, sculptées plus simplement (NBM1982.42.6-.7). Cette pièce comprend également un exemple de la première version de sa deuxième étiquette (il existe trois versions connues de sa deuxième étiquette), un aspect particulièrement utile pour la datation de ce meuble ainsi que pour la comparaison avec d’autres pièces et leur vérification.

L’étude des œuvres de Nisbet a fait l’objet de nombreuses recherches depuis les années 1970. La plupart des articles et publications sur le mobilier canadien du XIXe siècle, notamment les ouvrages de référence de Huia Ryder et de Charles Foss, en ont fait mention. Pendant de nombreuses années, le professeur Tim Dilworth (1939-2017), de Fredericton (Nouveau-Brunswick) a catalogué, documenté et photographié le mobilier de Nisbet (ou qui lui était attribué) dans des collections publiques et privées. M. Dilworth a également signé plusieurs articles au cours des années 1970 et 1980 ainsi qu’une rubrique sur Nisbet pour le Dictionnaire biographique du Canada. En 2012, David Nasby a écrit The Art of Thomas Nisbet, Master Cabinetmaker, un catalogue d’accompagnement d’une exposition mise au point avec Darrell Butler, conservateur du Village historique de Kings Landing, qui a étudié et rassemblé un échantillonnage représentatif de l’œuvre de Nisbet. Ces ressources sont à l’origine de la grande sensibilisation du public à l’œuvre et à la carrière de Nisbet.

Cette table de jeux signée Thomas Nisbet se distingue de tous les autres exemples documentés de l’œuvre du maître ébéniste par ses détails inhabituels. C’en est donc un meuble incontournable pour l’attribution et la confirmation d’autres œuvres non signées. Véritable pièce de référence, cette table Nisbet permet de mieux comprendre l’éventail des modèles ainsi que le savoir-faire à l’origine du mobilier raffiné du deuxième quart du XIXe siècle au Canada anglais, plus particulièrement dans les provinces maritimes. Doté d’une étiquette originale et authentique, cet artéfact rejoint le groupe restreint d’œuvres Nisbet qui sont présentées dans les grands établissements publics du Canada.