Blogue du King of the Fleet : séquelles (point de vue de la restauratrice)
Dee Stubbs-Lee, restauratrice du MNB
En 2017, j’ai reçu un message indiquant que le département des sciences humaines envisageait l’acquisition d’une maquette de bateau dans une boîte-cadre pour les collections du MNB. Il y était mentionné que l’œuvre « avait peut-être besoin d’un peu de restauration » et on m’a demandé de la regarder pour voir ce qui était possible. Intriguée, j’ai demandé à ce qu’elle soit apportée au laboratoire de restauration pour examen. Peu de temps après, la boîte-cadre arrive et je vois tout de suite qu’elle va représenter un défi de taille. Mais comme dit l’adage : « En restauration, presque tout est possible; c’est juste que certaines choses prennent un peu plus de temps que d’autres! »
En fait, j’ai reçu au labo une boîte-cadre contenant des dizaines de pièces de ce qui était autrefois une maquette de bateau. La plupart des voiles étaient détachées de leurs cordages et gisaient sur « l’océan » ou pendaient de façon précaire. Les mâts étaient brisés et je voyais des morceaux de papier et de métal éparpillés un peu partout. Il y avait également beaucoup de saleté laissée par le temps, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
La première tâche de tout traitement de restauration consiste à évaluer minutieusement l’objet pour ensuite rédiger un rapport d’état détaillé accompagné d’une proposition de traitement. L’objet ressemblait un peu à un de ces casse-tête en 3D, mais sans image sur le couvercle de la boîte. On pouvait penser que plusieurs pièces manquaient. De plus, un certain nombre de pièces restantes étaient visiblement très fragiles, prêtes à s’effriter au moindre contact. Le traitement prendrait manifestement beaucoup de temps et serait ardu.
Pour bien évaluer l’état de l’objet et déterminer la meilleure façon de procéder au traitement, il fallait absolument accéder à l’intérieur. Pour cela, je devais d’abord retirer la façade en verre. J’ai placé la boîte-cadre sur le dos puis, à l’aide de ventouses, j’ai fait sortir lentement et délicatement le vieux verre cassant par une fente située à l’avant du cadre.
Après avoir pu accéder à l’intérieur de la boîte, j’ai sorti les pièces détachées que j’ai ensuite inventoriées et mises de côté. En l’examinant de plus près, j’ai constaté que la maquette de bateau avait déjà été endommagée et réparée plusieurs fois. Une partie de la peinture blanche sur le devant des voiles en bois avait éclaboussé certaines parties des cordages de gréement en fil de coton lourd ou de lin de deux couleurs. J’ai également remarqué des traces de peinture sur certains des caps de mouton, qui étaient faits avec des perles de verre. La plupart des cordages du gréement étaient cassés et fortement emmêlés. Ceux qui restaient étaient trop détériorés pour supporter de manière fiable le poids des voiles en bois sculpté. J’ai donc décidé de retirer et de remplacer tous les fils d’origine. Pour ce faire, j’ai acheté du fil d’ameublement neuf dont la couleur, l’épaisseur et la torsion correspondaient d’assez près aux fils d’origine. J’ai utilisé deux fils neufs en polyester afin de pouvoir distinguer les éléments remplacés à l’avenir, ce qui constitue une règle d’éthique importante en restauration.
L’examen de toutes les pièces m’a amené à constater qu’il s’agissait d’une barquentine à cinq mâts. C’est inhabituel, puisque les deux ou trois mâts étaient bien plus répandus. Étant donné que la plupart des cordages d’origine de la maquette étaient cassés et que de nombreuses voiles s’étaient détachées, des recherches approfondies ont été nécessaires pour déterminer la disposition et les points d’attache des voiles et du gréement sur de véritables navires de ce type. Heureusement, le département des archives et de la bibliothèque de recherche du MNB dispose de nombreuses ressources utiles sur l’histoire de la construction navale dans la province.
Chaque surface de l’intérieur et de l’extérieur de la boîte-cadre, de la maquette et de « l’océan sculpté » en copeaux a été méticuleusement nettoyée de la poussière et de la saleté accumulées pendant un siècle à l’aide d’un aspirateur spécial de restauration. Au besoin, j’ai utilisé un détergent anionique, de l’eau distillée et des solvants appliqués au moyen de cotons-tiges roulés à la main. Étant donné que la surface de « l’océan » était détachée à l’intérieur de la boîte-cadre, je l’ai également retirée pour la nettoyer et la stabiliser, ce qui m’a conduit à découvrir plusieurs surprises intéressantes en dessous, notamment des restes de drapeaux et de bannières en papier, dont certains, une fois réunis, ont révélé le nom du modèle, le King of the Fleet. J’ai aussi trouvé à l’intérieur de la boîte-cadre une figurine de marin, une canonnière et une ancre, tous en plomb, ce qui confirmait que la maquette avait été modifiée au moins une fois auparavant, car la goélette et le navire de guerre n’étaient pas de la même époque. De plus, le marin est nettement d’une autre échelle que la goélette et constitue probablement un ajout ultérieur. D’un commun accord avec le conservateur, j’ai décidé de réinstaller la canonnière sur l’océan, mais de garder le marin hors de la boîte-cadre.
Au cours de l’été 2021, Emma Griffiths, une étudiante diplômée de maîtrise en restauration d’art de l’Université Queens, a effectué un stage au laboratoire de restauration du MNB. Elle s’est attelée à la tâche colossale de remplacer tous les cordages de gréement de la maquette du navire dont le traitement était alors bien avancé.
Les dernières phases du traitement de restauration ont été achevées à la fin de l’été et à l’automne. Il fallait encore fixer le modèle de goélette dans la boîte-cadre, créer une structure de soutien pour l’océan, procéder au nettoyage final des surfaces, réparer les crêtes de vagues brisées, installer la canonnière et fixer l’océan. Ensuite, il a fallu refixer l’ancre, réassembler et restaurer les bannières en papier, réinstaller la façade en verre et repeindre les éclats de peinture les plus dérangeants sur l’avant de la boîte-cadre.
Le traitement de restauration s’est déroulé sur plusieurs années, entre divers projets plus urgents. Au total, il a fallu des centaines d’heures de recherche et de traitement de restauration. Dans la mesure du possible, nous avons conservé les matériaux d’origine. Nous avons seulement remplacé les cordages de gréement et ajouté quelques perles de verre pour remplacer les « caps de mouton » qui s’étaient cassés, une doublure en papier japonais, du remplissage et de la peinture pour restaurer les bannières en papier. En outre, chaque étape du processus de restauration a été soigneusement consignée et photographiée (plus de 150 photos en tout). Au final, nous avons maintenant une bien meilleure connaissance de l’œuvre et de l’évolution de son état. Plus solide et plus stable, elle est désormais beaucoup plus accessible pour des recherches, des expositions et des interprétations.
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Une nouvelle vie pour le King of the Fleet, réalisé par Samuel William Hopey
Samuel William Hopey (Canadien, 1846-1936)
Boîte-cadre : King of the Fleet, 1890-1910
Bois peint, coton, perles de verre, métal et verre
53 × 94,5 × 19,5 cm
Don de David P. Simmons, 2017 (2017.36)
Collection du Musée du Nouveau-Brunswick
Grâce à la générosité d’un descendant du créateur de cet ouvrage, un exemple fascinant du patrimoine maritime de la province a été ajouté aux collections du Musée du Nouveau-Brunswick. Le savoir-faire de Samuel William Hopey (1846-1936), maître charpentier ayant travaillé dans la construction navale sur la côte de Fundy, a donné vie à un voilier fictif, le King of the Fleet (Roi de la flotte).
Le Musée du Nouveau-Brunswick (MNB) ajoute minutieusement des œuvres à ses collections d’art et d’histoire, sachant qu’elles seront préservées à perpétuité pour les générations actuelles et futures. Toute pièce considérée pour être ajoutée à la collection doit répondre à un certain nombre de critères rigoureusement évalués. Dans ce cas, la provenance de la boîte-cadre était impeccable, bien qu’au début, son état laissait à désirer.
Le MNB abrite l’une des collections de portraits de navires les plus importantes et les plus vastes du Canada, dont les boîtes-cadres constituent un volet particulièrement fascinant. Ces dioramas peu profonds de voiliers sont généralement contenus dans une structure en forme de boîte qui peut être insérée dans une alcôve murale ou posée sur une étagère, voire sur un manteau de cheminée. Presque sans exception, le sujet est une version gréée, demi ou trois quarts, d’un voilier entouré d’une scène de rivage ou de mer peinte ou parfois sculptée. Cette forme d’art est devenue particulièrement populaire au cours de la dernière moitié du XIXe siècle et au début du XXe et constitue une variation étonnante par rapport aux autres types de reproductions de navires : peintures, gravures, dessins, photographies ou modèles réduits.
La grande majorité des boîtes-cadres peut être qualifiée d’art « naïf », « vernaculaire » ou « folklorique », car les fabricants avaient le plus souvent des connaissances techniques sur les voiliers, mais peu ou pas de formation artistique formelle. Actuellement, le MNB abrite dix-sept boîtes-cadres datant d’environ 1850 à 1970, la majorité d’entre elles remontant au dernier quart du XIXe siècle. Le sujet de cette boîte-cadre est une barquentine imaginaire à cinq mâts, le King of the Fleet. Bien que certains voiliers ainsi construits aient eu jusqu’à sept mâts (voir le Thomas Lawson de Braintree, Massachusetts, 1901), ces pièces semblent avoir été plus des exercices de capacité technique que des œuvres reproduisant la fonctionnalité pratique. Deux pièces actuellement dans la collection du MNB, la goélette Adonis à quatre mâts (1957.66) et la Maple Leaf à cinq mâts (1973.63), représentent des navires dotés d’une mâture supérieure aux deux ou trois mâts habituels. Il est certain que les possibilités perçues des nombreux mâts ont captivé l’imagination de plusieurs créateurs de boîtes-cadres.
Le créateur du King of the Fleet, Samuel William Hopey, est né à St. Martins, au Nouveau‑Brunswick, le 4 mai 1846, fils de John Hopey et de Margaret Godsoe. Un acte de mariage entre lui et Catherine Ann McLellan de Shediac, au Nouveau-Brunswick, est répertorié en 1873. Il apparaît ensuite dans le recensement de 1881 à Moncton comme bouchonnier (calfeutreur) avec une femme et trois enfants, John A., Alma et Alexander. Leur quatrième enfant, Matilda Alberta Hopey, naît à Moncton en mai 1881. Un autre enfant, George Stanley Hopey, naît à Turtle Creek, dans le comté d’Albert, en février 1891. Le recensement de 1891 indique que la famille Hopey vit alors dans la paroisse de Coverdale, dans le comté d’Albert. Frank Hopey, un autre fils, arrive en 1895. Le recensement de 1901 indique que la famille habite à Moncton et que Samuel exerce la profession de charpentier. En 1911, la famille vit à Sunny Brae (aujourd’hui un quartier de Moncton) où elle demeure encore à la mort de Samuel Hopey, le 19 février 1936. L’histoire de la famille racontée avec verve par le donateur indique que Samuel Hopey était charpentier de marine et maître artisan, qu’il a travaillé toute sa vie dans les chantiers navals le long de la côte de Fundy, de St. Martins à Moncton, et que la fabrication de maquettes de bateaux et de boîtes-cadres était son passe-temps. Cette boîte-cadre a été emportée aux États-Unis au début du XXe siècle lorsque son fils, George Stanley Hopey (1891-1964), s’est installé dans la région de Boston (Massachusetts). Le King of the Fleet a ensuite été transmis au petit-fils de George Hopey, le donateur.
La petite mais néanmoins importante collection de boîtes-cadres du MNB est probablement l’une des plus complètes de la région et peut contribuer, grâce à son charme naturel, à faire connaître et apprécier au public le riche patrimoine maritime de la province. Il existe actuellement peu d’indices suggérant que la collection de boîtes-cadres du MNB ait fait l’objet de recherches, de publications ou d’expositions sérieuses. Seules six des dix-sept créations ont un auteur reconnu ou attribué. Un examen détaillé de leurs caractéristiques mériterait d’être entrepris, comprenant une étude des techniques de fabrication, des images qu’ils contiennent et de leur construction par rapport aux véritables navires de leur époque. Tous ces aspects doivent être explorés et analysés pour les situer non seulement dans la tradition d’art maritime, mais aussi dans notre histoire sociale.
L’état de l’œuvre a été un facteur déterminant dans la décision d’en faire l’acquisition. Des années d’exposition à la lumière ainsi que des changements de température et d’humidité avaient affaibli une grande partie du gréement, entraînant l’effondrement de ses éléments les plus fragiles. Puisque l’œuvre a été reçue derrière sa vitre d’origine, on en a déduit que toutes les pièces étaient probablement encore là. Le Musée a conclu que malgré son mauvais état relatif, le King of the Fleet serait un ajout inestimable à la collection pour la recherche comparative, la publication et l’exposition. Nous avons accepté l’objet en sachant que nous pourrions l’entretenir et le surveiller afin d’éviter toute détérioration supplémentaire et qu’en fin de compte, une intervention de restauration permettrait de le ramener à une approximation de son état d’origine.
Affaire à suivre…
Références :
Archives provinciales du Nouveau-Brunswick (gnb.ca) [Cautionnements de mariage, 1810-1932 et Registres gouvernementaux d’état civil] (consultés par intermittence, 2017-2022)
Samuel William Hopey — Ancestry.com (consulté par intermittence, 2017-2022)