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Travaux de restauration d’un memento mori acadien

Collaboration entre musées pour préserver le patrimoine culturel

En tant que musée provincial, le Musée du Nouveau-Brunswick ne s’occupe pas seulement de ses propres collections, mais offre aussi son soutien aux autres musées de la province. On a vu un excellent exemple d’une telle collaboration lorsque le Musée acadien de Caraquet a dû faire restaurer un memento mori – un objet qui rappelle à l’être humain sa mortalité – en vue de son exposition au Musée acadien de l’Université de Moncton. Dee Stubbs-Lee, conservatrice-restauratrice du Musée du Nouveau-Brunswick, a exécuté le travail nécessaire pour que l’artéfact fasse partie de l’exposition « Toujours aimé, jamais oublié : la mort et le deuil en Acadie ».

Un artéfact funéraire unique

Comme il se voit dans les images 1-4, ce memento mori est dédié à la mémoire d’Anna Duguay, épouse d’Alf. LeBoutillier, décédée le 8 juin 1910 à l’âge de 26 ans. L’objet représente, sous une cloche en verre, une scène de cimetière dominée par une grande croix en cire, où se trouvent aussi une croix plus petite et un cercueil. L’aspect le plus remarquable de l’artéfact est qu’il est orné d’une guirlande composée de cheveux tressés qui semblent provenir d’au moins 14 personnes distinctes.

« En y regardant de près, on peut voir que les cheveux ne viennent pas tous d’une seule et même personne : il y en a de plusieurs couleurs et textures différentes, » commente Mme Stubbs-Lee. « En l’examinant pour rédiger mon constat d’état, j’ai remarqué bon nombre de tout petits carrés de papier numérotés. Il est possible que chaque numéro corresponde à une personne différente. »

Transport en douceur et évaluation

C’est à Claire Titus, conservatrice du Musée du Nouveau-Brunswick, qu’est revenu le premier défi posé par le memento mori : transporter l’artéfact au Centre des collections et de la recherche du Musée du Nouveau-Brunswick à Saint John sans l’abîmer. L’objet devait rester à la verticale avec sa cloche en verre en place pour protéger la croix en cire et la guirlande, toutes deux fragiles. En même temps, il fallait empêcher que le verre se brise ou entre en contact avec les éléments intérieurs de l’objet. Mme Titus a donc placé l’œuvre dans un grand contenant Rubbermaid avec un calage en matériaux non acides pour absorber les vibrations produites par le mouvement.

Une fois l’objet arrivé au laboratoire de conservation-restauration, Mme Stubbs-Lee s’est livrée à un examen en profondeur. Plusieurs éléments avaient besoin d’attention : il fallait nettoyer le verre, laver l’élément textile, aspirer la moisissure et les insectes des rainures, stabiliser les composantes de papier, et remplir et stabiliser la cire fissurée. Le tout devait être fait moyennant un minimum de contact avec la fragile guirlande de cheveux, dont l’état était relativement bon malgré de légères morsures d’insectes par endroits, mais que le temps avait rendu friable.

Le processus de restauration

Après avoir reçu du Musée acadien de Caraquet l’approbation du plan de traitement qu’elle avait soumis, Mme Stubbs-Lee a commencé son travail méticuleux de conservation :

  1. Nettoyage du verre : La cloche de verre a été nettoyée au vinaigre, et la saleté incrustée a été retirée avec précaution au moyen d’un scalpel chirurgical.
  2. Traitement du textile : Comme on peut le voir dans les images 5-8, la couche de fils de chenille violacée qui cernait la scène du cimetière a été nettoyée à sec et retirée. Extrêmement poussiéreuse, elle était de surcroît infestée de moisissure et d’insectes, y compris des anthrènes des tapis. Après un test de solidité des couleurs pour vérifier que la teinture ne serait pas délavée, le tissu a été immergé dans un bain d’eau distillée et de détergent doux destiné à cette fin. L’eau distillée est utilisée dans les traitements de restauration parce qu’elle contient moins d’impuretés, par exemple des particules de métal qui pourraient endommager l’artéfact avec le temps. Après avoir été lavée, la chenille a été épinglée pour qu’elle puisse sécher sans rétrécir.
  3. Documentation des papiers : Comme le montre l’image 9, quelques bouts de papier sur lesquels des parties de noms étaient inscrites ont été trouvés dans l’artéfact. Les sections manquantes et le mauvais état du papier ont rendu leur pleine restauration impossible, mais les fragments ont été soigneusement consignés et conservés aux fins de recherche.
  4. Stabilisation de la cire : La prochaine étape pour Mme Stubbs-Lee, montrée dans les images 10-12, a été de stabiliser les fissures dans la grande croix de cire, qui avait été endommagée par des fluctuations extrêmes de température. Appliquant les principes de la conservation, elle a colmaté les fissures avec une matière semblable à la cire originale, mais un peu plus malléable, afin que ce soit le produit de colmatage qui subisse les effets de tout stress à l’avenir.

« En restauration, nous tentons d’utiliser des matières semblables aux matières originales parce qu’elles réagissent à l’environnement de la même manière », explique Mme Stubbs-Lee. « Chaque fois qu’il faut faire du remplissage dans une œuvre d’art – dans ce cas-ci, un objet en cire – il faut veiller à ce que l’adhésif ou la matière qu’on insère soit plus vulnérable que la matière originale. De cette manière, si quelque chose doit céder, ce sera la nouvelle matière et non la matière originale qui entoure la réparation. Les adhésifs plus forts, par exemple, ne sont pas nécessairement meilleurs. »

Au moyen d’instruments dentaires, Mme Stubbs-Lee a rempli la principale fissure de coton chirurgical, lequel assure la stabilité de l’objet tout en étant facile à retirer s’il y a lieu – respectant ainsi l’un des principes éthiques de la restauration, à savoir que toute modification doit être réversible. Elle a ensuite enduit le coton d’une couche de cire orthodontique qu’elle a mise en place avec des pincettes avant de la réchauffer doucement avec un fer à coller sur faible intensité pour qu’elle se répande uniformément dans la fissure sans faire fondre la cire originale. Puis, avec divers petits outils, elle a façonné la cire pour qu’elle suive le profil original de l’artéfact.

La conservation par-delà la réparation

Pour terminer le traitement, Mme Stubbs-Lee a fait des recommandations détaillées quant à la manipulation et à l’entretien du memento mori à l’avenir, entre autres en ce qui concerne l’éclairage et la température.

« Une partie essentielle du travail de restauration est le nettoyage et la réparation », commente-t-elle. « C’est un aspect important de notre travail, et c’est souvent ce qui motive les restaurateurs à se lancer dans cette profession. Mais, au fond, la conservation est un art beaucoup plus holistique que cela. Notre tâche consiste en grande partie à prévoir tous les facteurs susceptibles d’endommager un artéfact et à trouver les moyens de réduire la probabilité que ces circonstances adviennent. »

Après ce traitement de restauration exhaustif, le memento mori a été exposé au Musée acadien de l’Université de Moncton du 7 octobre au 17 avril 2016, permettant au public d’admirer ce vestige unique des traditions de deuil acadiennes.

Image 1: le memento mori après traitement sans dôme
Image 2: le memento mori après traitement avec dôme
Image 3: détail de la bannière de papier fournissant des informations sur Anna Duguay
Image 4: détail du travail de cheveux
Image 5 : Dee Stubbs-Lee, conservatrice du Musée du Nouveau-Brunswick, nettoie à sec la chenille dans la crevasse avec un aspirateur et des outils dentaires
Image 6 : Carcasse d'anthrène adulte et enveloppe larvaire trouvées pendant l'examen et le nettoyage
Image 7 : La chenille immergée dans l'eau distillée et un détergent de conservation
Image 8 : La chenille épinglée pour qu'elle ne rétrécisse pas en séchant
Image 9 : Fragments de papier inscrits examinés sous le microscope
Image 10 : Détail montrant une grande fissure dans la croix de cire avant la conservation
Image 11 : Positionnement du rembourrage de coton chirurgical dans la grande fente / Image 12 : Ramollissement du remplissage de cire à l'aide d'un fer à pointer sur réglage bas