L’équipage de Paris et John O’Neill

L’aviron de compétition a vu le jour sur la côte est du Canada au début des années 1800 de manière tout à fait naturelle, puisque l’eau était à la base de plusieurs activités économiques majeures, notamment la pêche, la construction navale et le transport maritime.[1] Au fil du siècle, l’aviron a gagné en popularité en tant que passe-temps et en tant qu’activité compétitive, ce qui a entraîné un engouement pour les paris chez les pêcheurs et les travailleurs maritimes. De nombreuses compétitions avaient lieu entre rameurs individuels et entre équipages qui devaient être les plus rapides et les plus forts sur l’eau. C’est dans ce contexte que sont apparus les premiers héros sportifs du Canada, particulièrement ceux de l’équipage de Carleton, mieux connu sous le nom d’équipage de Paris.


William Notman, Écossais, 1826 – 1891
Photographie : Paris Crew (L’équipage de Paris), 1869
Impression à l’albumine montée sur carte
22 × 18 cm
Collection du Musée du Nouveau-Brunswick (X19501)

À Saint John, au Nouveau-Brunswick, des équipages concurrents de divers quartiers et d’autres régions s’affrontaient régulièrement et les paris étaient nombreux. En 1866, l’équipage de Carleton, composé de Samuel Hutton, Elijah Ross et Robert Fulton, choisit Robert Price comme quatrième compagnon. Ils étaient loin de se douter qu’ils venaient de former un équipage de classe mondiale qui allait s’imposer face à plusieurs des équipes les plus établies et les plus prestigieuses d’Europe et, plus tard, d’Amérique du Nord. Sans surprise, les quatre hommes avaient beaucoup travaillé sur l’eau, Ross comme gardien de phare et les trois autres comme pêcheurs.[2] Il est important de le souligner, car ils ont dû travailler un nombre incalculable d’heures sur le fleuve et dans le port de Saint John, naviguant dans toutes les conditions. Ce type de travail physique intense produisait des rameurs forts et expérimentés.

Ayant établi leur domination sur les autres équipages de la région, l’équipage de Carleton décide de se rendre à Paris pour une exposition internationale annoncée par l’empereur Napoléon III en 1864. Quelques jours seulement après la confédération officielle du Canada en 1867, le groupe de jeunes hommes du Nouveau-Brunswick participait à deux courses à l’Exposition de Paris. Grâce à un départ canon, à un rythme de course élevé et à la résilience qu’ils ont acquise dans leur travail sur l’eau, ceux que l’on donnait perdants d’avance ont remporté les deux courses, ce qui leur a valu le surnom d’« équipage de Paris ».


Climo et Finlay
Photographie : The Start (Le départ), Régate de Paris, championnat de courses de bateaux à Paris (France) en 1867
Carte de visite à l’albumine
6,1 x 10 cm
Collection du Musée du Nouveau-Brunswick (X12824)

Conservée au Musée du Nouveau-Brunswick, la sculpture Le départ est une œuvre en bois et en fil de fer reproduisant (ou censée reproduire) la ligne de départ des régates de l’Exposition de Paris. C’est l’un des trois modèles de la collection réalisés par le constructeur de bateaux de carrière et artiste amateur vernaculaire ou « populaire » John O’Neill (1855-1934). Ces trois sculptures commémorent cinq des rameurs les plus admirés et les plus célèbres non seulement de Saint John, mais aussi du Nouveau-Brunswick. L’équipage de Paris et Hilton Belyea ont établi le record du monde (9:36 minutes) de l’épreuve de rameur de couple sur 1 ½ mille en 1921. M. Belyea a fait don de cette représentation de l’équipage de Paris en 1952.

John O’Neill était un artisan remarquable. En 1874, à l’âge de dix-neuf ans, il achète un terrain dans la partie nord de Saint John et construit la première maison sur ce qui est alors la rue Murray. Il a consacré sa carrière à la conception et à la fabrication de coques de course pour plusieurs des meilleurs rameurs canadiens de son époque, dont Wallace Ross, Jim Reilly et d’autres. Il est mentionné dans au moins deux articles du Saint John Telegraph Journal, qui le qualifient de « l’un des plus grands concepteurs de coques de course au monde ».[3] Dans une interview du 25 août 1923, John O’Neill parle de l’équipage de Paris et fait l’éloge de leurs prouesses athlétiques, en particulier de Robert Fulton. John O’Neill l’avait vu faire six miles sur la rivière Kennebecasis avec l’équipage de Paris, puis se mettre presque immédiatement en rameur de couple et faire encore trois miles. Robert Fulton a remporté les deux courses.


John O’Neill (Canadien, 1855 – 1934)
Sculpture : The Start (Le départ), vers 1920
Bois sculpté et peint avec fil de fer
19,7 × 57,2 × 151,1 cm
Don de Hilton Arthur Belyea, 1952 (1952.17)
Collection du Musée du Nouveau-Brunswick

L’expertise de John O’Neill en construction navale transparaît clairement dans ses sculptures. Certes, les figures de rameurs de l’œuvre Le départ manquent quelque peu de détails, mais c’est compréhensible étant donné que l’auteur était surtout un constructeur professionnel plus qu’un artiste. Il excellait dans les reproductions de coques et de rames. Elles sont très finement travaillées et incroyablement précises. Lorsque l’on regarde l’intérieur de l’embarcation, il est clair que la coque était l’élément principal. Tous les détails, des sièges aux glissières, en passant par les repose-pieds et les nervures (supports en forme de U), témoignent d’une construction de qualité. Seule une main experte et qualifiée pouvait sculpter correctement chacune des pièces complexes qui composent cette œuvre. Il s’agit d’une pièce remarquable du patrimoine néo-brunswickois et canadien soulignant des exploits sportifs mémorables ainsi que l’histoire de John O’Neill et de son travail de conception et de construction de coques de course.

Timothy Lawrence, étudiant chercheur d’été 2021 en arts et histoire

 

[1] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/paris-crew

[2] https://fr.rowingcanada.org/hall-of-fame/equipage-de-paris/

[3] Le 25 août 1923, on lit dans le Saint John Telegraph Journal et le The Sun : « Quand Wallace Ross a battu Hanlan, Plaisted, Reilly, Boyd et d’autres à Providence, Rhode Island, en 1880 pour le championnat de deux continents ».