Différentes manières de dépouiller une grenouille

Andrew Sullivan, technicien en zoologie, Département d’histoire naturelle du MNB

La nouvelle collection de recherche du musée du Nouveau-Brunswick héberge une collection permanente de plus de 11 000 amphibiens et reptiles conservés humides dans des pots d’éthanol à 70 %. Les spécimens humides fournissent des données anatomiques et biogéographiques et peuvent servir à plusieurs méthodes d’analyse. Par exemple, plusieurs espèces de champignons qui causent des taux de mortalité élevés chez les grenouilles et les salamandres ont été repérées historiquement au moyen de collections d’amphibiens.


Collection d’amphibiens et de reptiles conservés humides du MNB

Les spécimens humides sont injectés, puis on les « fige » dans du formol (forme diluée du formaldéhyde) avant de les plonger dans l’éthanol. Le formol raidit l’animal en réticulant les acides aminés dans les cellules, créant ainsi une structure rigide dans les tissus de l’animal. Malheureusement, cette méthode entraîne une décoloration rapide de la peau et, vu la réticulation, l’analyse d’ADN n’est habituellement pas possible selon la technologie actuelle.


Étiquetage de grenouilles


Le spécimen devrait être étiqueté de manière à faciliter le mesurage standard.

Dépouiller des amphibiens et faire sécher leur peau (surtout les grenouilles; les salamandres ont une anatomie différente et ne peuvent être dépecées facilement) est une méthode qui était rarement utilisée par le passé pour préserver davantage les motifs colorés de la peau des grenouilles. Cependant, puisque la technologie a évolué, il est maintenant évident que la méthode permet de nouvelles possibilités tant pour la collection de spécimens que pour leur utilisation. Dans un article publié récemment dans la revue scientifique Herpetological Review, le directeur du département d’histoire naturelle et conservateur de recherche en zoologie du Musée du Nouveau-Brunswick, Donald McAlpine, Ph. D., et son collègue Frederick Schueler, Ph. D., ont même réussi à appliquer cette méthode à des serpents et ont emprunté des techniques d’herbier botanique afin de faciliter la préservation et l’organisation de ces peaux (voir McAlpine, D.F., Schueler, F.W. 2018. Herpetology Meets Botany: Using Herbarium Methods to Archive Dried Skins of Frogs and Snakes. Herpetological Review 49: 236-238).


Diagramme de dépouillement de Shueler

Alors, qu’ont en commun une fleur et une grenouille? Eh bien, les deux peuvent être séchées à plat. Les grenouilles sont étonnamment faciles à dépouiller; la peau est plus solide qu’il n’y paraît et n’est fermement attachée au corps qu’aux mains et aux pieds et sur les os de la tête. Des incisions ventrales sont effectuées au milieu de la grenouille et le long de chaque membre, puis la peau est retirée manuellement sans réellement nécessiter d’autres entailles. Pour les serpents, les incisions se font aussi le long du ventre, mais décentrées, le long des écailles ventrales. Et évidemment, on n’a pas à se préoccuper des pattes.


Grenouille fendue

Même si le résultat ressemble à un amas fragile et froissé de peau de grenouille ou de serpent, la prochaine étape consiste à étendre la peau et à l’aplatir. À l’aide d’un objet émoussé comme le capuchon d’un stylo et des forceps, la peau est pressée, étirée et aplatie sur un morceau de papier ciré jusqu’à ce que la quasi-totalité des plis soit lissée et que la peau soit belle et symétrique, comme les dépouilles animales des dessins animés. La peau est recouverte d’un autre morceau de papier ciré pour la protéger pendant qu’elle sèche dans le presse-spécimen, sinon tout simplement sous un tapis ou même un matelas. La dernière étape consiste à retirer la peau séchée du papier ciré pour la monter sur un papier d’herbier non acide et sans lignine avec du ruban de lin non acide.


Amas de peau


Grenouille sur papier d’herbier

Si cette méthode de conservation ne donne pas une posture naturelle (c’est le moins qu’on puisse dire!), elle comporte néanmoins plusieurs avantages. Les peaux peuvent être conservées dans des dossiers dans des classeurs d’herbier, occupant ainsi une fraction de l’espace normalement requis pour conserver le même nombre de spécimens dans des bocaux d’alcool. Comme pour les spécimens végétaux, les peaux montées peuvent être facilement numérisées et partagées électroniquement.


Peau de serpent numérisée


Peau de grenouille numérisée

Comme il est mentionné plus haut, les couleurs des peaux séchées sont mieux préservées et, contrairement aux spécimens humides, il en va de même pour l’ADN! De nos jours, beaucoup de musées, y compris le MNB, prélèvent régulièrement de petits échantillons de peau à des fins d’analyse ADN ultérieure. Ils sont habituellement entreposés à de basses températures (-80 oC), séparément des spécimens humides ou secs. Quant aux peaux séchées et entreposées à température ambiante, elles se sont avérées des sources d’ADN très utiles.

Parfois, certains spécimens ne sont pas en assez bon état pour être conservés en entier. Le spécimen peut être retrouvé mort et écrasé sur la route ou n’être plus que les restes du repas d’un prédateur. Parfois, les dossiers de serpents ne sont représentés que par un échantillon de peau (source possible d’ADN). Un chercheur peut vouloir disséquer le spécimen frais ou préparer un squelette. Si les os sont particulièrement intéressants, le dépouillement permet de nettoyer le squelette et de préserver la peau. Les spécimens récupérés, comme les animaux morts sur la route, sont de plus en plus importants pour les scientifiques, car les permissions de prélever et de tuer activement des animaux vivants deviennent de plus en plus difficiles à obtenir; d’ailleurs, certaines espèces sont si rares que leur prélèvement est impossible à justifier. Même si les grenouilles mortes sur la route peuvent être en piteux état, il arrive souvent que la peau puisse être récupérée.


Squelette


Peau de serpent mort sur la route

Les scientifiques prélèvent des spécimens géologiques et d’histoire naturelle depuis des centaines d’années, mais l’évolution de la technologie, les objectifs de recherche et les techniques de conservation s’adaptent continuellement. Bref, s’il existe différentes manières de dépouiller une grenouille, et elles sont nombreuses, le résultat quant à lui est toujours le même : à plat.

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